Les réactions face à l’opposition peuvent être bien diverses : Isaac est en pays étranger, et la peur lui fait réagir par le mensonge, en faisant croire que sa femme est sa sœur. Mais ça tourne mal pour eux… L’épisode suivant (Ge 26) montre un Isaac qui, à la différence de la première histoire, ne va réagir comme le commun des mortels ; et même sa réaction semble être à l’encontre du bon sens ! Mais cela s’avère très efficace.
Et Isaac est béni par Dieu. Malgré son erreur passée.
1) Le rejet :
Isaac est un nomade ; il est étranger. Difficile de ne jamais être chez soi. Mais il est un émigré qui réussit ! Très bien même. Et cela engendre la jalousie, le mépris et le rejet. « Il profite de nos maigres prairies pour se faire son beurre ! » Et les philistins ont comblé le puits de cet étranger et de ses bergers. Le rejet est net : « Pars de chez nous ; va-t-en ! » (v16)
On fait tout pour ne pas reconnaître et oublier l’œuvre de ceux qui dérangent et qu’on voudrait bien rejeter. Nous plaignons Isaac parce qu’il nous est connu et sympathique ; mais ce n’est pas toujours la même réaction qu’on peut avoir vis-à-vis des étrangers chez nous. Difficile d’accepter l’étranger qui cherche à s’intégrer, sans désirer profiter des avantages du pays qui l’accueille… Et en plus s’il réussit.
Cela peut même se passer dans une Eglise. Ce n’est pas évident d’accepter de nouvelles personnes qui viennent chambouler les habitudes, quelques fois avec raison ; mais c’est encore plus facile de les rejeter quand ils ne réussissent pas et ne sont pas parfaits…
. Par la suite, les vexations se poursuivent envers les bergers d’Isaac qui, plus loin, même sur les terres où Abraham avait habité, creusent un puits et trouvent encore de l’eau. Mais les bergers d’Abimélec les chassent en disant : « Pas question !! C’est à nous ! » (v20). A 4 reprises, c’est le même scenario…
Isaac et ses bergers sont confrontés à l’épreuve du rejet systématique, sans cause, sinon celle de la jalousie ; l’ennemi se venge (de la réussite de cet étranger) et persiste dans l’injustice.
. Les raisons du rejet peuvent être nombreuses ; elles se manifestent souvent intérieurement, au niveau de la pensée ; puis plus ou moins tard, elles s’extériorisent, par des paroles ou des gestes. Quelqu’un a fait cette constatation : « Ceux qui ne parviennent pas à bâtir se vengent en démolissant » ; c’était vrai en tout cas pour Abimélec et ses bergers. Nos réactions sont quelques fois bizarres, si nous n’y prenons pas garde et si n’essayons pas de les maîtriser.
. Ou alors, comme Isaac, c’est nous qui sommes rejetés et nous savons combien cela fait mal et peut changer le cours de l’existence même. Les blessures peuvent être profondes et durables. Le désert est alors celui de la solitude, où l’on se fait pourchasser et rejeter, où ce qu’on entreprend comme effort et comme travail est réduit à néant. L’injustice mine.
2) Mais comment réagir face à ce rejet et face aux personnes ?
La manière de réagir d’Isaac vis-à-vis de ses ennemis a déterminé sa réussite. Cette réussite est évidente : il leur fallait de l’eau pour vivre ; et il n’arrête pas d’en trouver ! 6 fois, ses bergers creusent et ils trouvent de l’eau !
Ah… nous souhaiterions bien connaître cette réussite… Mais cette histoire est mise dans la Parole de Dieu pour notre instruction et nous aiguiller pour notre conduite.
Voyons ce qui a déterminé cette réussite pour Isaac ; elle est liée dans cette histoire à 4 faits :
. L’effort : le verbe « creuser » revient chaque fois. Pas facile pour les bergers : l’eau se trouve profondément, dans un désert plein de cailloux, sous la chaleur.
Pour nous tous, il est facile de vivre d’une manière superficielle, sans approfondir. Creuser, c’est en particulier approfondir notre connaissance de Dieu à travers la Bible.
Heureusement, les bergers étaient solidaires d’Isaac ; cela a fait leur force. Maintenir des relations approfondies est un élément important pour réussir, même individuellement.
Et si nous profitions de l’été où les activités sont un peu ralenties pour inviter et approfondir nos relations ?
. La persévérance : les bergers d’Isaac n’ont pas faibli dans leur effort. Sans changer d’attitude, Isaac continue à refaire des puits.
Alors que l’on continue à subir des injustices, à recevoir des coups et à être rejeté, il s’agit pourtant de tenir bon et de continuer à creuser avec persévérance. Souvent dans le Nouveau Testament, nous trouvons des encouragements à persévérer : « Soyez toujours et avec joie persévérants et patients » (Col 1) ; « Persévérez dans l’amour fraternel » (Hé 13 ; pourquoi « persévérer » ? parce que les déceptions et les blessures peuvent venir des frères et sœurs) ; « Soyez patients dans l’affliction, persévérez dans la prière » (Ro 12).
Un des terrains de la parabole de la semence (Mt 13) fait allusion à une bonne réceptivité de l’Evangile mais quand les épreuves arrivent, la personne manque de persévérance et tombe. La lâcheté nous pousse à la fuite, à la démission. Dieu veut nous aider à être persévérants. La réussite en dépend.
. La paix : l’attitude d’Isaac vis-à-vis de ses ennemis est le contraire de l’animosité et de la vengeance. La réaction habituelle de toute personne, c’est : « Y’a des limites à ma patience : Maintenant, je ne peux plus me laisser faire ! » Mais Isaac refuse d’adopter la même attitude qu’Abimélec et de réagir avec vengeance, avec une position dure. Quand Abimélec lui dit : « Va-t-en ! », Isaac part ; quand il revendique (à tort) les puits d’Isaac, celui-ci accepte de les céder (alors qu’il s’agit de quelque chose d’essentiel, de vital) ; et cela à plusieurs reprises. Il refuse l’escalade d’une certaine violence et veut être un instrument de paix, même s’il est largement perdant et même si cela lui coûte (ainsi qu’à ses bergers : c’est eux qui creusent…). A-t-il conscience que l’escalade dans la vengeance risque fort de le détruire lui-même à force ? Et que la solution ne peut venir que d’une attitude conciliatrice ? Il accepte que d’autres entravent son action et il accepte de recommencer ce que les adversaires ont détruit. Il répond du tac… au tact.
Et en tout cas, pour Isaac, c’est payant ! On ne sait pas au bout de combien de temps, mais Abimélec a arrêté ses vexations et il est venu faire la paix avec lui. L’attitude pacifique a fini par porter ses fruits. En refusant de tomber dans le piège de la provocation, de l’escalade dans le conflit, Isaac a amené Abimélec à la repentance et à changer de comportement.
Cette attitude est-elle normative ? Devrait-elle être celle que Dieu nous demande d’avoir, même dans l’injustice ?
J’ai conscience que c’est une prise de position grave dans certaines circonstances. Cela correspond-il à de la non-violence ou à de la faiblesse ? Le problème est vaste et complexe. Mais la plupart du temps, la réaction première (« Y’a des limites… ») est motivée par notre nature de péché ; alors que Dieu nous demande une autre réaction. Quelle est-elle ? « Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil et dent pour dent. Eh bien, moi je vous dis : ne résistez pas à celui qui vous veut du mal ; au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut te faire un procès pour avoir ta chemise, ne l’empêche pas de prendre aussi ton vêtement. Et si quelqu’un te réquisitionne pour porter un fardeau sur un kilomètre, porte-le sur deux kilomètres avec lui » (Mt 5v38-41).
Quelle exigence… Mais quelqu’un montrait qu’il était difficile d’agir autrement pour un chrétien : « Rendre le mal pour le mal est diabolique ; rendre le bien pour le bien est humain ; rendre le bien pour le mal est divin » (Alfred Plummer). Augustin faisait cette remarque qui nous interpelle : « Nombreux sont ceux qui ont appris à tendre l’autre joue sans savoir comment aimer celui qui les a frappés ». En effet, le but n’est pas de faire un acte par devoir, même envers Dieu ; mais bien d’amener la personne à changer. Et cela est possible en agissant comme Dieu le demande.
C’est le sens de cette image que Paul utilise (Ro 12v17-21) : « Autant que possible, et dans la mesure où cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. Ne vous vengez pas vous-mêmes, mes amis, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : C’est à moi qu’il appartient de faire justice. Mais voici votre part : si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire. Par là, ce sera comme si tu lui mettais des charbons ardents sur la tête. Ne te laisse jamais dominer par le mal. Au contraire, sois vainqueur du mal par le bien ». Cette image des charbons ardents ferait allusion à un vieux rituel : un homme expiait sa faute en portant sur sa tête un récipient plein de braises, signe de repentance. Ce verset signifie donc que le fait de vivre dans de bons sentiments envers celui qui fait du mal peut l’amener sur le chemin de la repentance.
Pierre va dans le même sens quand il écrit : « Ayez une bonne conduite parmi les païens ; ainsi, même s’ils vous accusent d’être des malfaiteurs, ils seront obligés de reconnaître vos œuvres bonnes et de louer Dieu le jour où il les visitera » (1 Pi 2v12).
Les chrétiens, dans leur couple, dans leur Eglise, au travail, au lycée, perçoivent-ils bien que rendre le mal, répondre à des provocations par des attaques verbales, ne fait qu’empirer une situation blessante ? Et que la solution est dans l’obéissance à ce que Dieu demande ?
. La présence de Dieu : c’est ce 4° point qui a assuré la fin heureuse et la réussite pour Isaac.
C’est bien ce qui a fait changer Abimélec : quand Isaac lui demande : « Pourquoi venez-vous vers moi puisque vous me haïssez et que vous m’avez renvoyé de chez vous ? » (la situation, selon Isaac, était bel et bien bloquée), Abimélec répond : « Nous voyons que l’Eternel est avec toi » (Ge 26v27-28). Du reste, c’est sur cette certitude que Dieu avait assuré Isaac de la réussite : « Ne crains pas, je suis avec toi » (v24). Isaac a tenu dans son attitude, mais ce qui a changé Abimélec, c’est le fait de voir que Dieu était du côté de son rival. La meilleure chance pour nous, ce n’est pas nous, c’est « Dieu avec nous », « Emmanuel ». Jésus nous dit encore aujourd’hui : « Je suis avec vous tous les jours » (Mt 28v20). C’est dire que nous nous reposons, non sur ce que nous pouvons faire avant tout, mais sur la puissance de Dieu qui peut transformer les sentiments de quelqu’un. Une belle promesse : « Es 41v8-14, 17-18 ».
Après « Dispute » (Esek), « Opposition » (Sitna), arrive « Larges espaces » (Réhoboth) et « Serment » (Chibea). Du désert, de la pauvreté du sol, l’Eternel a fait sortir l’eau vive, l’abondance. Nous aussi, nous sommes dans un monde souvent cruel, aride, dur. « Mais moi, dit Jésus, je suis venu afin que mes brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance » (Jn 10).
Il nous faut donc avant tout apprendre à compter sur sa présence et sa bénédiction, en vivant nous-mêmes dans une attitude persévérante et pacifique. Attention alors : nous pouvons nous attendre à voir de grandes choses.
Jean-Ruben
merci,pour cette analyse
Une bel exposé sur l’effort, la persévérance, la paix et la bénédiction de Dieu. Merci