C’est énervant de voir des enfants (mais s’il n’y avait qu’eux…) tellement rivés sur leur ordinateur qu’ils n’entendent même pas que le repas est prêt… Il n’y a plus que ça qui compte ! Et plus de perception pour le reste.
Mais il y a d’autres domaines qui font oublier la réalité future : on s’enferme dans le travail, la famille, les problèmes, les loisirs,… sans voir la réalité qui a une portée bien plus grande encore. Est-ce un refus inconscient ou… volontaire ?
Toujours est-il que l’on se met des œillères ; même les chrétiens, bien évidemment. Quand les auteurs de la Bible parlent de la vie terrestre, ils parlent de la « tente », ils l’assimilent à la vie d’une fleur : « Toute chair est comme l’herbe ; l’herbe sèche et la fleur tombe » (Es 40). Mais nous nous installons dans cette vie et nous oublions qu’elle se continue dans l’éternité… Nous sommes, en même temps – et c’est contradictoire –, pris dans un tourbillon et notre regard est centré sur le présent, un peu comme s’il était éternel. Alors que Dieu nous invite à penser plus loin, à la vie éternelle, comme faisant partie de notre vie présente. Il ne faudrait pas se tromper de lieu de rendez-vous : « L’homme attend Dieu dans le temps et Dieu attend l’homme dans l’éternité » (Simone Weil).
En fait, l’être humain pense à l’avenir quand il lui tarde d’y être ; comme des fiancés par exemple : leur pensée est rivée sur le moment où ils vivront ensemble. Oui, le problème est certainement une question d’envie, d’amour. Pour avoir envie de vivre ce jour de l’éternité, il faut savoir ce qui nous attend. Dans la parabole des talents, Jésus soulève un peu le voile : dans sa réponse à l’un des serviteurs, le maître répond : « Très bien, tu es un bon serviteur, en qui l’on peut avoir confiance. Tu t’es montré fidèle en peu de choses. C’est pourquoi je t’en confierai de plus importantes. Viens partager la joie de ton maître ! » (Mt 25v21).
1) Félicitations !
Le maître fait des compliments à ses serviteurs, il les félicite. Cela signifie que le Seigneur accueillera au ciel ceux qui l’ont servi ainsi ; et cela est pour tous, bien sûr, pas seulement pour les chrétiens à plein temps comme les pasteurs. Et on peut être choqué ! Quoi ! Il nous félicitera, sans relever toutes nos imperfections ! Il nous voit (déjà maintenant) à travers le sang que Christ a versé à la croix en mourant à notre place : par lui, il nous déclare juste.
Et oui : il relèvera alors la marche générale de ceux qui auront vécu pour lui (et pas seulement avec lui) et non les fautes. Il ne s’agit pas de la flatterie mais de la reconnaissance de ce qu’aura été notre vie.
C’est lui, le grand Dieu, qui fera des louanges sur nous ; Dieu lui-même, à nous, être faits de faiblesse et de petitesse.
Cela nous surprend peut-être parce que c’est nous qui devons le louer ! Et puis… nous n’avons pas l’habitude de ce fonctionnement : nous ne le vivons pas envers les autres ; nous relevons les points critiquables (« Il faut bien qu’il progresse, quand même ! ») et que nous ne savons pas relever les points positifs.
Le Seigneur n’agit pas de la même manière. Il nous félicitera devant tous, nous montre cette parabole ; mais ce qui fera notre joie, ce n’est pas le fait que les autres l’entendront, mais que cela vienne de Dieu lui-même.
Dans sa justice, Dieu ne veut pas oublier ce que nous aurons fait pour lui. Dans plusieurs passages, il est dit que « nos œuvres nous suivent » (1 Co 3v12-15 ; Ja 2v17-18, 22, 26 ; Ap 20v12) : pas pour éventuellement être condamnés (puisqu’on est sauvé parce qu’il nous a pardonnés, et cela est pure grâce), ni – à l’opposé – comme des actes méritoires, mais parce que les œuvres révèlent notre identité céleste. Elles attesteront notre appartenance à Dieu, et montreront que « c’est bien le fils de son père ! ». Trop souvent on oppose foi et œuvres ; en fait elles sont les 2 rames d’un bateau qui lui permettent d’avancer ; avec une seulement, on tourne vite en rond…
Cela nous place devant nos responsabilités, à savoir mon talent ou mes talents que le Seigneur m’a confiés : c’est… dur, et très réconfortant en même temps !
2) Sur quoi l’avis du Seigneur reposera-t-il ?
Quelles sont les raisons qui feront que le Seigneur me dira : « C’est bien ! Je suis fier de toi ! » ?
. Ce qui ressort de notre texte en premier lieu, c’est le zèle ; le compliment du Seigneur portera sur l’ardeur que ses serviteurs auront manifestée pour accomplir sa volonté. Il louera ceux qui lui auront obéi. Cela se traduit par une vie engagée au service du Maître. Il se peut que mon zèle soit méconnu par les autres, parce qu’accompli sans être vu ni entendu. Le Seigneur voit le secret ; et il le révélera lors du Grand Jour.
Et alors seront oubliés les sacrifices faits pour lui obéir, la solitude dans pas mal de moments, les luttes dans ma chambre pour tenir bon et lui rester fidèle, les critiques injustes ou l’indifférence, l’effort pour ne pas faire comme les autres (au travail, au lycée, ou parmi les voisins ou la famille).
Il est nécessaire pour cela que ma vie soit faite d’engagement pour le Seigneur, et non de refus, d’égocentrisme ou de paresse, et également que ce soit lui qui soit au centre de ma vie et non… mes intérêts ; parce que je peux facilement considérer Dieu comme… mon serviteur : par exemple quand je considère ma prière pour qu’il entende mes exigences, euh… mes demandes. Qui est, en réalité, le maître et qui est le serviteur ?
. Ce qui plaît au Seigneur, et qui est capital dans ce que Jésus dit à travers cette histoire, c’est la fidélité et l’amour, vécus dans l’humilité : « Bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses ».
– Le prisme de la fidélité peut avoir plusieurs facettes :
Cela parle de la persévérance et de l’endurance, de cette attitude à tenir bon malgré tout. C’est la qualité du marathonien ; il ne s’engage pas comme le lièvre dans la fable du lièvre et de la tortue : son service tient dans la distance, malgré les difficultés rencontrées, malgré ce que d’autres peuvent montrer de coups d’éclat.
Cette fidélité montre le désir de vivre selon la volonté de Dieu, de s’y conformer. Le but du serviteur est de vivre comme le maître le veut et non pas à sa sauce ni selon ses sentiments personnels. L’auteur de l’épître aux Hébreux nous invite « à servir Dieu d’une manière qui lui est agréable, avec soumission et respect » (Hé 12v28).
2 hommes échangent sur le service qu’ils rendent à Dieu ; et la conclusion de l’un est de dire : « Nous servons le Seigneur chacun à notre manière : vous à la votre et moi… à la sienne ». Cela devrait être en tout cas notre désir et notre objectif, en prenant conscience qu’un certain aveuglement peut se nicher derrière nos motivations (pas évident d’affirmer que c’est le Seigneur qui m’appelle pour aller le servir… à Tahiti).
On peut traduire le mot fidélité par le mot foi. La qualité qui plaît au Seigneur est dans ce cas alors la confiance en lui. Il s’agit de compter sur lui (et non sur nous ou sur les autres en priorité) dans tous les domaines de la vie ; c’est le fait de regarder à lui, de fixer les regards sur lui, malgré les défaillances des autres, malgré les dangers et les circonstances contraires (le vent qui est fort, les vagues menaçantes, comme pour Pierre qui s’engage sur l’eau vers Jésus ; Mt 14), malgré les incompréhensions devant certaines règles à suivre dans sa Parole (comme pour Pierre quand après avoir péché toute la nuit sans rien avoir attrapé et qui obéit à l’ordre de Jésus : « Sur ta parole, je jetterai le filet » ; Lc 5).
Enfin (c’est la compréhension qu’en font certaines traductions), la fidélité montre que le serviteur est celui en qui on peut avoir confiance : le maître a vu qu’il pouvait compter sur lui ; il était fiable.
– Et il y a la qualité de l’amour, reconnue par le maître.
Le serviteur félicité n’est pas bon comme on est doué en math ; la reconnaissance du maître n’est pas liée à son efficacité ni à ses performances dans son travail. Ce n’est pas la rentabilité qui est valorisée. Le maître ne fait pas de comparaison entre les résultats des 2 premiers serviteurs : ce n’est pas le fait que le deuxième n’ait fait que les 2/5ème du premier qui change quoique ce soit. Ce qui est à noter, c’est bien plutôt le fait que chacun a su utiliser et multiplier ce qui lui avait été donné. Ceci est un encouragement pour les « peu-doués », un avertissement pour les « sur-doués ».
John Wesley disait : « Tu seras récompensé selon ton engagement et non selon ton succès ». Le serviteur est reconnu pour sa vertu de générosité, d’amour. C’est cette dimension qui change tout : « Sans amour, je ne suis rien », même si je donnais tout ce que j’ai ; quelqu’un disait : « Nous ne serons pas jugés sur la somme de travail accompli, mais sur le poids d’amour que nous aurons mis ».
En résumé, le compliment du Seigneur à ceux qui l’auront servi sera d’avoir obéi avec zèle et amour à sa volonté, et cela dans la vie professionnelle, familiale, dans le cadre de l’Eglise, vis-à-vis des amis, et des ennemis.
– L’humilité est la dernière qualité relevée par le maître.
« Tu as été fidèle et bon… en peu de choses » : il n’y a pas de service et d’amour sans humilité. « L’amour ne s’enfle pas d’orgueil » (1 Co 13). Notre service pour Dieu ne fera jamais de nous des « super-chrétiens » ; l’humilité nous empêche de penser que sans nous l’Eglise s’écroulerait, que sans nous il n’y aurait pas de témoignage. Ce que nous aurons fait est de toute manière peu de chose.
Mais si Jésus semble diminuer le service rendu, c’est pour mieux faire ressortir ce que lui veut donner :
3) Une vie abondante !
. Le maître dira à certains de ses serviteurs : « Je te confierai beaucoup ! » Cela parle de la plénitude de vie ; ce sera sans commune mesure avec ce que nous aurons fait sur la terre. Ce que nous aurons accompli n’est rien en comparaison de ce que le Seigneur nous donnera pour l’éternité.
. Deuxième conséquence : la joie parfaite : « Viens partager la joie de ton maître ! » Après l’effort, le réconfort que le Seigneur accordera.
. Mais cette vie abondante ne sera pas pour tous : le 3ème serviteur qui est perdu éternellement nous aide à comprendre qu’il faut élargir l’origine de ces serviteurs à tous les êtres humains. Jésus parle de ces hommes – très religieux – qui ne seront pourtant pas avec Dieu (Mt 7v21-23) sur ce double critère : « Je ne vous ai jamais connus ! Retirez-vous de moi, vous qui pratiquez le mal » : l’absence de relation et de communion avec Dieu ainsi que les œuvres révèlent si l’on est sauvé ou non. Dieu mettra à nu au Grand Jour la réalité que l’on peut cacher.
Ce n’est qu’au ciel que nous vivrons cette vie extraordinaire dont nous avons déjà l’assurance et un avant-goût.
C’est un encouragement et une motivation qui devraient nous remplir de joie, qu’il nous laisse à travers ce qu’il dira à ceux qui, avec fidélité, amour et humilité, l’ont servi jour après jour : « C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses : entre dans la joie de ton Seigneur ! »
Jean-Ruben